Non-transparence de marché dans le secteur du fret fluvial

L’économie du secteur du transport fluvial endure une pression tarifaire qui est chaque jour moins supportable pour la pérennité des entreprises artisanales. La multiplication de comportements économiques déstabilisateurs rend en effet le fonctionnement global du marché toujours plus opaque.

Le transport fluvial français est structuré par de nombreux acteurs composant la chaîne logistique : entre le donneur d’ordre et le consommateur, il existe des courtiers de fret fluvial (affréteurs) ainsi que des commissionnaires de transport. Au milieu de cette chaîne logistique se situe le prestataire de service (transporteur fluvial) qui pâtit de sa position concurentielle actuelle.

Les affréteurs ont une meilleure vision du marché, ils sont informés des flux entrants et sortants de marchandises et de la disponibilité de la cale fluviale, alors que les transporteurs l’ignorent. Il en résulte que les affréteurs peuvent disposer à leur aise de la cale disponible pour leurs besoins, ce qui renforce leur position dans les négociations commerciales avec le prestataire de service. Si la négociation échoue avec un transporteur fluvial, l’affréteur peut aisément se tourner vers un autre prestataire de transport ou vers un groupement de transporteurs (coopérative).

La multiplication des intermédiaires a également bouleversé l’équilibre du marché. Les intermédiaires pouvant se communiquer les transporteurs libres pour une même prestation, ces derniers ne sont donc plus considérés comme une véritable partie contractante d’une négociation, mais davantage comme une variable d‘ajustement des besoins en flux tendus des affréteurs.

Le problème des listes noires établies par ces mêmes affréteurs se pose également. S’ils estiment qu’un transporteur est trop exigeant lors de la négociation commerciale, ils peuvent se communiquer son identité et s’accorder pour l’exclure momentanément ou définitivement du marché des demandes de transport. Une véritable course aux prix bas s’est donc progressivement mise en place dans le secteur, entraînant des comportements économiques néfastes pour l’ensemble de la chaîne. Les transporteurs acceptent davantage des niveaux de prix de fret bas, compte tenu de leur faible marge de négociation. Cette spirale conduit à ce que de plus en plus de bateliers travaillent en dessous de leur seuil de rentabilité, contraints malgré eux d’accepter des prix de transport abusivement bas.

Nous pouvons ainsi craindre que cette bulle, lorsqu’elle arrivera à son terme, ne mette en péril l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique.

Depuis la libéralisation du marché intervenue en 2000, il est impossible d’agir sur les prix et dans la contractualisation des frets. Cependant, la loi française interdit le travail en dessous du seuil de rentabilité : l’article L4463-2 du code des transports vient sanctionner les dérives sur les prix par une amende de 15 000 euros pour « le fait pour tout prestataire de transport public fluvial de marchandises d’offrir ou de pratiquer un prix inférieur au coût de la prestation qui ne permet pas de couvrir les charges, les frais et la rémunération du chef d’entreprise ». La profession regrette que cet article de loi ne soit pas appliqué, ses décrets d’application n’ayant jamais été rédigés.

En pratique, très peu de transporteurs ont saisi les autorités de la concurrence lorsqu’ils ont été confrontés à cette situation. Que cela soit dans le secteur du transport fluvial ou ailleurs, chaque saisine des autorités de la concurrence par un acteur économique s’estimant être lésé par la faiblesse du prix est déboutée.

Or, il s’avère que cette non-transparence de marché doit être résolue sous peine de voir un pan du secteur du transport fluvial disparaître : conjugué à d’autres difficultés, le nombre d’entreprises françaises de batellerie artisanale continue de décroître.

De façon similaire, ces problèmes ont été évoqués depuis 2013 en Belgique. Le gouvernement belge a réagi avec la promulgation de la loi du 3 janvier 2014 relative à l’affrètement et à la formation des prix dans la navigation intérieure concernant des matières visées à l’article 78 de la constitution. Elle prévoit notamment l’établissement d’une commission de navigation à même d’instruire des cas de déstabilisation du marché pour cause de travail effectué sous le seuil de rentabilité.

Aux Pays-Bas, des demandes pour remettre davantage de transparence de marché ont trouvé très récemment un écho auprès du ministère des Transports néerlandais. Même si les discussions n’ont pas abouti, elles indiquent que le problème se pose également dans ce pays où le transport fluvial assure plus de 30 % du transport terrestre de marchandises.

Face à ces constats, les représentants de la profession fluviale souhaitent la mise en oeuvre des décrets d’application précédemment évoqués ainsi que le développement de mesures complémentaires en faveur du transport fluvial de marchandises. Celui-ci ne manque pas d’atout et représente une solution viable pour bien des défis en termes d’environnement, de qualité de service et de développement économique. Cet immense potentiel est hélas aujourd’hui sous exploité.

(*) Ces demandes ont été relayées auprès de la ministre chargée des Transports, Mme Elisabeth BORNE.

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